Nouvelle Histoire de la Musique en France (1870-1950)

1898

Le festival des arènes de Béziers


Christopher Moore


Entre 1898 et 1926, les arènes de Béziers accueillent un festival d’art lyrique. S’y mélangent des enjeux régionalistes et le goût pour le revival gréco-romain.

Between 1898 and 1926 Béziers arena hosted a festival of lyrical art at which regional concerns mingled with a taste for Greco-Roman revivalism.

L’inauguration en 1898, dans des arènes de tauromachie nouvellement construites à Béziers, d’un festival consacré à des productions de nouveaux ouvrages lyriques constitue une initiative singulière dans l’histoire de la musique française, et encore plus dans celle, moins fréquemment étudiée, de la musique en province. Inspiré par des essais de reconstitutions théâtrales au théâtre antique d’Orange, le festival des arènes de Béziers s’insère dans un important mouvement historiciste et archéologique qui cherchait à faire revivre les sites et les traditions du patrimoine gréco-romain en France à l’aube du vingtième siècle. Cette démarche s’est surtout concentrée dans le Midi, où de tels sites étaient nombreux, et, parallèlement, s’est articulée au mouvement contemporain régionaliste et plus spécifiquement félibréen qui prônait la décentralisation et le développement d’une prise de conscience identitaire provençale et latine.

Conçu et financé par Fernand Castelbon de Beauxhostes, un riche industriel biterrois, le festival doit une grande part de son immense succès à l’intérêt que lui a porté le compositeur Camille Saint-Saëns qui, dans son œuvre musicale ainsi que dans ses écrits, avait prêté une attention particulière à la culture musicale de l’époque antique. Avec les représentations en 1898 et 1899 de sa tragédie lyrique Déjanire, composée sur un poème de Louis Gallet, le festival de Béziers acquiert une forte visibilité nationale, et la cité languedocienne devient, pour quelques jours en été, une destination touristique très courue où se combinent les plaisirs du soleil, de la vigne, du divertissement et du grand spectacle en plein air (Figure 1).

Figure 1 : Représentations aux arènes de Déjanire, tragédie lyrique de Louis Gallet, musique de Camille Saint-Saëns. Photographies de M. Bois-Guillot dans L’Univers illustré, vol. 41, no 2269, 17 septembre 1898, p. 601.
Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8437255q / Bibliothèque nationale de France

Une particularité du festival est la participation d’une portion importante de la population locale, aussi bien au spectacle lui-même qu’aux événements en périphérie. Se mêlant aux musiciens et artistes parisiens, les membres de la Lyre biterroise et de la Chorale biterroise font partie de l’immense effectif musical constitué pour l’occasion. Sur scène, les surnuméraires sont des habitants de la ville, ce qui fait écrire au poète Jean Lorrain : « Dans la journée, ils sont forgerons, menuisiers, charpentiers, maîtres de chaix, tonneliers, vignerons ; le soir, ils sont guerriers de Mitylène ou pâtres sauvages du Caucase » (Lorrain 1902, p. 347). Tranquillement, sans doute en réponse aux pressions exercées par un sentiment régionaliste, les œuvres prirent un caractère plus explicitement méridional aussi bien par le contenu des livrets que par les sonorités employées dans l’orchestre. Le premier glaive, œuvre d’Henri Rabaud sur un livret de Lucien Népoty jouée au festival de 1908, met en conflit le mode de vie pastoral et pacifiste d’un peuple ibérique obligé de se défendre contre des envahisseurs « barbares » du nord. Les tensions contemporaines qui sévissent entre les régionalistes et l’état centralisateur sont alors traitées allégoriquement à une époque où la grande crise viticole de 1907 avait provoqué un réel et tragique affrontement entre la France rurale du Sud et les forces de l’ordre nationales. Lors du festival de 1910, le compositeur régionaliste Déodat deSéverac célèbre l’identité méridionale dans son Héliogabale. Ici, le compositeur fait notamment appel aux instruments de la cobla catalane (flabiols, tibles et tenores), un ensemble associé aux divertissements en plein air du Midi, dont ceux de la tauromachie qui, dans les arènes de Béziers, figuraient comme une toile de fond imaginaire aux spectacles qui y étaient joués. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de voir représenter Carmen de Bizet à partir de 1910. Le nouvel organisateur, Joseph Charry, qui succède à Castelbon à partir de cette édition du festival, semble avoir voulu mieux lier l’imaginaire au réel et ancrer davantage les spectacles dans l’histoire et les traditions de la région.

À l’exception des œuvres du répertoire traditionnel d’opéra, plus fréquemment données sous le mandat de Charry, les spectacles de Béziers étaient conçus expressément pour le festival, et ce, dans un contexte national où peu de premières étaient réservées aux villes de province, et encore moins pour une ville d’assez petite taille comme celle de Béziers. Les œuvres étaient d’une forme hybride proche de la tragédie lyrique et s’inspiraient – surtout dans les premières années avec Déjanire, déjà mentionnée, et Prométhée de Gabriel Fauré – de sources gréco-romaines. Le livret en vers était récité et joué par des acteurs de grande réputation nationale (par exemple, Cora Laparcerie dans le rôle de Déjanire ou Édouard de Max dans celui de Prométhée) que les chanteurs doublaient aux endroits stratégiques du drame, la musique donnant ainsi un relief à ces passages. Les dimensions impressionnantes des arènes, pouvant accueillir près de 20 000 personnes, soit un tiers de la population locale, invitaient les collaborateurs artistiques à prendre des décisions audacieuses. Les initiatives les plus remarquées dans ce domaine étaient certainement les gigantesques décors conçus dans les premières années du festival par Marcel Jambon (1848-1908). Comme se souviendra Saint-Saëns, « les montagnes peintes par lui étaient d’un aspect si vrai que beaucoup de spectateurs en arrivant à la représentation les croyaient réelles et s’étonnaient de ne pas les avoir remarquées auparavant » (Saint-Saëns 1913, p. 72).

Du côté musical, Saint-Saëns visait l’amplification et la simplification. Premièrement, les effectifs étaient maximalisés à souhait, et non pas parce que l’acoustique l’imposait: au contraire, Saint-Saëns jugeait favorablement l’acoustique des arènes, et son collaborateur Louis Gallet, qui avait exploré les lieux avant les préparations du spectacle, disait « qu’on y a entendu à merveille dimanche, le charabia d’un clown et les finesses d’un mandoliniste » (Gallet 1898a). Malgré cela, pour rendre justice à la grandeur des lieux et des sujets évoqués, la partie orchestrale de Déjanire était donnée par « deux orchestres d’harmonie séparés par un fort groupe d’instruments à cordes et un rideau d’orchestre d’harmonie », ce dernier étant dissimulé derrière des éléments du décor de scène (lettre de Saint-Saëns à Charles Lecocq du 30 août 1900, citée dans Saint-Saëns et Fauré 1994, p. 16). Ajoutons à cela 250 choristes et 60 danseurs. Force est de constater que le monumentalisme était une des catégories esthétiques de prédilection des spectacles de Béziers. Ce monumentalisme rendait la transcendance en quelque sort tangible, ou il donnait du moins une illusion de transcendance par le biais d’une surenchère de sonorités et de décibels inédits. Mais il y avait plus. Saint-Saëns voyait dans le caractère grandiose de ces œuvres une raison de fierté régionale « qui ne doit rien au Nord et aux influences germaniques » (ibid.). En fait, le festival de Béziers constituait une sorte de célébration de la latinité en général et du Midi – son berceau français historique – en particulier. Célébrer ces racines gréco-latines à la fois nationales et régionales appelait tout naturellement un monumentalisme tel qu’il se pratiquait à l’époque pour les célébrations ou les commémorations touchant à des questions d’identité française. L’amplification servait aussi à donner une assise solide à un spectacle qui se voulait « populaire » dans le sens prôné par différentes voix (notamment celle de Romain Rolland) à la fin de siècle. Avec la massification croissante qui a marqué les premières décennies du XXe siècle, le festival de Béziers a été parfois cité comme un modèle qui pouvait favorablement servir à la rencontre entre les publics les plus divers et le théâtre. Le côté « spectaculaire » des œuvres jouées à Béziers, protocinématographiques par leurs effets scéniques et protoambiophoniques par leurs effets musicaux, pouvait en effet servir de point de rencontre entre l’art savant et un vaste public potentiel en quête de nouveaux loisirs.

La simplification des moyens musicaux est en quelque sorte le résultat d’un monumentalisme qui voulait tout de même demeurer accessible au plus grand public. Peut-être pour ne pas dérouter le public de Béziers, mais aussi pour ne pas poser trop de difficultés supplémentaires aux exécutants ayant des formations musicales souvent limitées, les œuvres comme Déjanire, Prométhée et Parysatis (de Saint-Saëns ; Figure 2) se distinguent par des discours musicaux parfois étonnamment dépouillés. Dans un compte-rendu érudit et détaillé portant sur Déjanire, Émile Baumann parle justement d’un « simplisme étrange », d’une « nudité » musicale et d’un « réalisme » qui évoquent la pureté de la musique grecque ancienne. Toutefois, l’œuvre de Saint-Saëns, affirme le critique, ne cherche pas à être « primiti[ve] » ; elle est surtout parfaitement adaptée aux exigences émotionnelles et dramatiques de cette transposition moderne du texte des Trachiniennes de Sophocle (Baumann 1900, p. 433). Dans un article du Figaro paru avant la reprise de Déjanire (avec un effectif très restreint) à l’Odéon en novembre 1898, Saint-Saëns déclare avoir voulu éviter « l’archéologie pure » dans le processus de composition de sa pièce, mais a tout de même cherché à soutenir le caractère ancien en utilisant des modes grecs et en faisant chanter les chœurs presque toujours à l’unisson (Saint-Saëns 1898).

Figure 2 : Carte postale anonyme de 1902, à l’occasion de la représentation de Parysatis de Saint-Saëns à Béziers.
Source : Archives municipales de Béziers, en ligne sur Wikipédia Commons (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Op%C3%A9ra_Parysatis.jpg, consulté le 5 décembre 2020).

L’équation entre simplicité et modernité s’est vue renforcée lors de la première du Prométhée de Fauré au festival de 1900. Les enjeux de Prométhée pour la carrière de Fauré étaient multiples (Figure 3). Comme il avait une réputation de compositeur d’ouvrages intimes, voire de salon, des doutes planaient sur sa capacité à créer une grande œuvre pour la scène. Même son ami Saint-Saëns, qui avait invité Fauré à assister à la reprise de Déjanire à Béziers en 1899, avouait sa « crainte au sujet de ce que [Fauré] pouvait mettre de côté de l’ampleur et de la grandeur de caractère » de l’œuvre qu’il préparait pour le festival (lettre de Saint- Saëns à Jacques Durand du 30 août 1900, citée dans Saint-Saëns et Fauré 1994, p. 22). Cette crainte a été dissipée par la musique de Fauré qui, toujours d’après Saint-Saëns, était de « la vraie musique convenant à la pièce » (lettre de Saint- Saëns à Lecocq du 30 août 1900, citée dans Saint-Saëns et Fauré 1994, p. 22). Le compositeur Léopold Dauphin allait encore plus loin dans sa critique pour La Vogue :

[Prométhée] fait songer, malgré soi et en dépit de la franche personnalité qui s’y accuse, non pas aux procédés d’écriture, mais à la grandeur des concepts gluckistes, franckistes, voire wagnériens, tant la pureté de son style et la simplicité inspirée des lignes de sa déclamation éveillent en nous l’idée de Beauté ; et tant, aussi, nous émeuvent, charment ou ravissent tour à tour, son émotion contenue, ses accents sans emphase, la délicatesse en le fondu de ses colorations et la solidité de ses riches constructions harmoniques. [...] Et cela fut une surprise heureuse pour ceux – trop nombreux – qui, naguère encore, croyant Gabriel Fauré seulement apte à crayonner finement des pages menues, ingénieuses et exquises d’intimité délicate, le virent ici peindre, d’une main ferme et comme déjà accoutumée à la hardiesse des grands traits, cette large et haute fresque. (Dauphin 1900, p. 59)

Figure 3 : Gabriel Fauré, à Béziers, en compagnie de Fernand Castelbon de Beauxhostes. Photographie de René Thorel, 1902.
Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8417687h / Bibliothèque nationale de France.

Le compositeur Charles Koechlin, qui a assisté à la reprise de Prométhée à Béziers en 1901, se sert de son souvenir ému de cet événement afin de faire un portrait biographique posthume quelque peu révisionniste de son ancien professeur dans les années 1920. Pour Koechlin, Prométhée influe sur le reste de la carrière de Fauré et « favorise dès lors une simplification presque dépouillée, réduite à l’essentiel ; des thèmes d’une pureté dorique et pour tout dire, cette résurrection de l’esprit grec avec une musique moderne » (Koechlin1927, p. 29). Plus tard, lorsque Koechlin devient président de la Fédération musicale populaire à l’époque du Front populaire, il loue de nouveau l’œuvre et surtout les concerts en plein air pour leur capacité à faciliter un rapprochement entre la musique savante et le grand public. Écrivant en 1937 dans le quotidien socialiste L’Humanité, il déclare :

À Béziers, lorsqu’on donna le magnifique Prométhée de Gabriel Fauré, j’avais été frappé par la splendeur harmonieuse de cuivres, par la douceur des « bois »... Mais il y a aussi un élément moral qui intervient et dont plus d’une fois j’ai senti l’effet [...] : c’est la disposition bienveillante dans laquelle on se trouve en ces conditions, sous un beau ciel, au frais, à l’aise, alors qu’en nos salles de concert on s’empile dans un air surchauffé, vicié. Or, cette disposition bienveillante qui nous vient du plein air, elle est des plus favorables à la musique ; elle entretient la bonne volonté nécessaire à toute compréhension musicale, l’ennui s’atténue, l’enthousiasme s’accroit » (Koechlin 1937).

L’enthousiasme pour l’expérience de Béziers, longtemps entretenu par Koechlin, n’a pas été universellement partagé. Les œuvres nouvellement composées pour les arènes réussissaient difficilement en dehors du cadre précis pour lesquelles elles ont été conçues. Si la presse nationale relayait à ses lecteurs, avec de spectaculaires photos à l’appui, l’immense succès des premières saisons du festival, les reprises parisiennes des mêmes œuvres, données dans des salles aux dimensions inévitablement plus restreintes, étaient des échecs, et ce, même aux yeux des critiques qui auparavant louaient les représentations méridionales.

Pourtant, comme la correspondance de Gallet et de Saint-Saëns le montre bien, la préparation de Déjanire pour Béziers a été accompagnée d’une réflexion très approfondie sur son éventuelle reprise au Théâtre de l’Odéon et pour d’autres occasions encore, comme l’Exposition universelle de 1900. Beaucoup d’artistes affiliés aux productions de l’Odéon avaient été appelés à participer à l’aventure de Béziers, et la mise en scène de l’œuvre par le régisseur général de l’Odéon, Dherbilly (pseudonyme d’Alexandre-Joseph Castiau), avait été d’ailleurs élaborée sur la scène parisienne avant d’être travaillée dans l’espace plus généreux des arènes. Pour Gallet, la représentation de Béziers offrait certes la possibilité de combiner des talents parisiens à une participation locale, mais l’aventure était surtout envisagée d’une manière particulièrement parisienne :

Savez-vous qu’un train spécial de Paris à Béziers emportant tout le personnel parisien de l’œuvre, tous les invités, tous les journalistes, tous les amis, serait un train qui ne manquerait pas de gaité et pas moins de passagers qu’un train pour Lourdes ! On pourrait donner la représentation un dimanche, l’été, l’Opéra en saison chaude ne jouant pas le samedi, tout ce joli monde, ayant répété à Paris, pourrait en partir le samedi matin et se trouver frais et dispos le dimanche pour la représentation unique, je pense. (Gallet 1897b)

Pour Castlebon, la participation d’une élite parisienne pouvait augurer en faveur d’un financement d’État pour un festival qui avait été conçu en dehors de tout système administratif officiel. Supportant seul les frais exorbitants des spectacles (pour Gallet [1897a], Castelbon « c’est Monte Cristo ! »), Castelbon espérait que l’État prenne en charge au moins une partie des coûts, ce qui avait été considéré lors d’un débat à la Chambre des Députés alors que le festival de Béziers était cité comme un exemple intéressant, finalement jamais adopté, de décentralisation artistique (Castelbon de Beauxhostes 1899). Ainsi, l’initiative du mécène dépendait énormément de la volonté artistique de la capitale, et la survie du festival languedocien ne pouvait jamais être totalement assurée à long terme sans que des décisions financières ne soient prises à Paris.

On constate dès lors que le festival de Béziers n’était régionaliste qu’en apparence. Cependant, les artistes parisiens étaient bien conscients qu’ils ne pouvaient pas débarquer dans le Midi avec leurs poèmes et leurs partitions sans faire appel à la fierté locale et régionale. L’utilisation des musiciens et surnuméraires de la région dans les spectacles du festival répondait à ce besoin. D’autres efforts diplomatiques étaient toutefois nécessaires, comme l’atteste l’initiative de Gallet qui a écrit un prologue à Déjanire intitulé « Salut à la Ville de Béziers » :

[Le poème] sera dit par la charmante [Jane] Rabuteau, en muse, avec une couronne d’olivier d’or, et une petite lyre orphique pendue au flanc. Elle dira du bien de nous, sans en avoir l’air, elle fera monter un peu d’encens au nez des Biterrois, qui nous en sauront gré. (Gallet 1898b)

Gabriel Fauré semble avoir tenté un geste similaire dans Prométhée. Dans son journal du voyage, Charles Koechlin constate que lors de la représentation de l’œuvre « l’air du chameau a été reconnu, et applaudi, avec discrétion » (Koechlin 1901/1931). Le chameau en question est sans doute Lou Camel, le chameau de Béziers, qui, d’après un article non signé conservé dans les archives Saint-Saëns, était un « monstre en bois, aussi populaire chez nous que le cheval de Troie chez les Grecs [...] C’est lui qui, dans les siècles passés, annonçait la belle et majestueuse fête de Caritats [sic] [...] Il était pourvu alors de fortes mâchoires en fer qui produisent un bruit métallique très effrayant [...]. Cet énorme animal était mis en mouvement par une équipe d’hommes logés dans ses flancs » (Castelbon de Beauxhostes 1896). Castelbon explique à Saint-Saëns, qui semble avoir pris un certain intérêt pour cette tradition populaire, que l’orchestre habituel du chameau de Béziers « est un fifre et un tambour, remplacé souvent par un instrument appelé graïle » (Castelbon 1896). Est-ce que Saint-Saëns, soucieux d’assurer le succès de Fauré aux arènes, aurait soufflé dans l’oreille de son ami l’air qui accompagnait les processions de Lou Camel dans les rues de Béziers au moment des fêtes populaires annuelles ? Et si oui, quel est cet air ? Mystère.

Le festival de Béziers a survécu jusqu’en 1926, mais ses meilleures années étaient celles précédant la Première Guerre mondiale. L’événement était alors régulièrement suivi par la presse nationale et pouvait toujours assurer la participation des artistes de premier plan. La prise de conscience grandissante que les œuvres qui y étaient jouées ne s’adaptaient pas facilement à d’autres contextes théâtraux a accéléré son déclin. Compositeurs et poètes étaient sans doute moins enthousiastes à l’idée de consacrer une énergie créatrice à des œuvres qui ne pouvaient offrir que peu de bénéfices à long terme. Aussi, durant les années 1920, d’autres formes de divertissement, notamment le cinéma, attirent l’attention des milliers de Biterrois qui avaient fidèlement rempli les gradins des arènes avant la guerre. Il n’en demeure pas moins qu’à ses débuts, ce festival était considéré comme audacieux, qu’il a permis d’expérimenter de nouvelles formes d’organisation scénique et musicale, et qu’il a reconfiguré à sa manière l’économie et la géographie de la production lyrique nationale.

Moore, Christopher, « 1898. Le festival des arènes de Béziers », dans Nouvelle histoire de la musique en France (1870-1950), sous la direction de l’équipe « Musique en France aux XIXe et XXe siècles : discours et idéologies », https://emf.oicrm.org/nhmf-1898, mis en ligne le 23 mars 2021.

Bibliographie


Sources citées

Baumann, Émile (1900), « Camille Saint-Saëns et Déjanire », La Nouvelle Revue, juillet, p. 432-446.

Castelbon de Beauxhostes, Fernand (1896), lettre à Camille Saint-Saëns du 6 novembre, Archives Camille Saint-Saëns, Château-Musée de Dieppe.

Castelbon de Beauxhostes, Fernand (1899), lettre à Camille Saint-Saëns du 8 mars, Archives Camille Saint-Saëns, Château-Musée de Dieppe.

Dauphin, Léopold (1900), « Gabriel Fauré et le Prométhée », La Vogue, octobre, p. 59-65.

Gallet, Louis (1897a), lettre à Camille Saint-Saëns du 12 juillet, Archives Camille Saint-Saëns, Château-Musée de Dieppe.

Gallet, Louis (1897b), lettre à Camille Saint-Saëns du 21 novembre, Archives Camille Saint-Saëns, Château-Musée de Dieppe.

Gallet, Louis (1898a), lettre à Camille Saint-Saëns du 9 juin, Archives Camille Saint-Saëns, Château- Musée de Dieppe.

Gallet, Louis (1898b), lettre à Camille Saint-Saëns du 30 juin, Archives Camille Saint-Saëns, Château-Musée de Dieppe.

Koechlin, Charles (1901/1931), Huit jours à Béziers (1901), recopié et édité par l’auteur en 1931, Paris, Archives Charles Koechlin, Médiathèque Musicale Mahler.

Koechlin, Charles (1927), Gabriel Fauré, Paris, Alcan.

Koechlin, Charles (1937), « Défense de la culture. Concerts en plein air », L’Humanité, 25 septembre, p. 8.

Lorrain, Jean (1902), Poussières de Paris, Paris, Ollendorf.

Saint-Saëns, Camille (1898), « Déjanire et M. Camille Saint-Saëns », Le Figaro, 11 novembre, p. 1.

Saint-Saëns, Camille (1913), École buissonnière. Notes et souvenirs, Paris, Pierre Lafitte.

Saint-Saëns, Camille et Gabriel Fauré (1994), Correspondance 1862-1920, réunie et présentée par Jean-Michel Nectoux, Paris, Klincksieck/Société française de musicologie.

Littérature secondaire

Ellis, Katharine (2019), « Open-Air Opera and Southern French Difference at the Turn of the Twentieth Century », dans Suzanne Aspden (dir.), Operatic Geographies. The Place of Opera and the Opera House, Chicago, University of Chicago Press, p. 178-194.

Moore, Christopher (2014), « Regionalist Frictions in the Bullring. Lyric Theater in Béziers at the Fin de Siècle », 19th-Century Music, vol. 37, no 3, p. 211-241.

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